Une pomme dans la poche de mon jean jacket
L'accessoire tendance de l'automne se trouve dans les vergers 🍎
L’air circule mal dans ma chambre. Les rares brises s’arrêtent devant le moustiquaire de la fenêtre. Ce matin, toutefois, l’une d’elles était suffisamment persistante pour le traverser. Elle était fraîche. Aussi, j’entendais la pluie tomber.
Nous buvions un café dans la cuisine, quand Mathilde m’a partagé son souhait de cuisiner une quiche, bientôt. J’ai ensuite eu à sortir, afin de mettre la poubelle au bord du chemin ; le son du camion d’éboueurs avait été suffisamment persistant pour traverser le moustiquaire de la fenêtre de la cuisine et atteindre mon tympan. La même brise à laquelle j’avais fait attention à mon réveil se faufila entre les boutons de ma chemise.
Des arbres ont été coupés dans la rue, hier. Des frênes probablement. Malades, sûrement. Il n’en reste que quatre pieds des troncs (ou 121,92 centimètres, si vous préférez). La voirie ne leur a laissé que les tibias. Parmi les arbres restants, il y a des érables. Ils sont en santé, j’ose croire. Certains d’entre eux ont mis du rouge sur leur dos. Ça me semble adéquat, vu la température.
J’avais à acheter du café ce matin. J’ai enfilé le jean jacket Levi’s, qui appartenait à mon père. Le col est fort abîmé et le denim est partiellement délavé. Les poches intérieures y sont très profondes ; il est agréable de marcher sans sentir ses clés et son portefeuille frotter contre le devant de ses cuisses.
Sur le chemin, j’ai croisé plusieurs autres personnes qui, comme moi, ont eu le réflexe, en sentant le vent frais entrer par la fenêtre de leur chambre ce matin, de sortir leur jean jacket. Je me demande si, comme moi, de profondes poches se cachent sur les parois internes de leur manteau, et si tel est le cas, s’ils y enfoncent leurs essentiels quotidiens.
Je ne fume pas, mais si je fumais, je mettrais mes clopes dans ces poches intérieurs ; fumer est un geste esthétique, tirer son paquet de cigarette des poches intérieures de son jean jacket exprime plus de caractère et de complexité (que de les sortir de son tote bag, par exemple).
J’avais cette réflexion en passant devant le Multi-Mags sur Saint-Laurent, devant lequel je m’arrêtai un instant. Garnir ma poche intérieure gauche d’un journal Le Devoir roulé en tube, dont l’extrémité dépasserait, pourrait être une alternative santé, qui me permettrait également de dégager du caractère et de la complexité. Cette réflexion n’était pas pour moi-même (je vous l’assure). Je n’essayais que d’imaginer de quelle manière les cool kids du quartier qui respectent leurs voies respiratoires pouvaient se donner un surplus de caractère et de complexité.
Cette réflexion n’était pas pour moi-même, tout simplement parce que le col abîmé et le bleu délavé de mon jean jacket laisse paraître suffisamment de caractère et de complexité. C’est d’ailleurs pour cela que je l’ai préféré à mon soft shell Rab, plus tôt ce matin.
Il est interdit de se rendre dans un café troisième vague de mon quartier sans dégager un minimum de caractère et de complexité. Heureusement, je n’habite pas sur le Plateau Mont-Royal, où les exigences en termes de caractère et de complexité à dégager dans les cafés plafonnent, mais j’habite à la frontière de Villeray, où ces dernières ont grandement crues, ces dernières années. Ainsi, me rendre au Ferlucci avec mon jean jacket seulement ne suffirait pas, malgré les nombreuses années passées sur les épaules de mon père, puis les miennes, ayant abîmé le collet et délavé sa teinte.
C’est en passant devant la fruiterie que je dénichai l’accessoire qui remplacerait le paquet de clopes sans être un Devoir (qui me ferait tomber dans la caricature). Les pommes y étaient belles, à l’intersection du vert et du rouge, comme les feuilles des érables qui ont été épargnés par la voirie. J’en achetai une demi-douzaine. J’en mis cinq au fond de mon sac fourre-tout, je guidai la sixième vers le fond de la poche intérieure gauche de mon jean jacket. La vitrine d’un restaurant me permit d’évaluer le niveau de caractère et de complexité dégagé par le geste d’aller chercher de la main droite la Paula Red entreposée à l’intérieur de mon manteau Levi’s. Il était à point.
Le geste ajoute non seulement le caractère et la complexité que somme le Ferlucci, mais son caractère éphémère – il faut, la seconde après avoir sorti la pomme, y croquer à pleines dents avec suffisamment de vivacité pour générer des ondes sonores percutant tous les tympans dans un rayon de 10 mètres – procure en bonus la touche d’authenticité que requiert le Café Vito. Il s’accorde aussi avec la brise qui s’était glissée sous ma chemise en sortant les poubelles, et les arbres dont le diagnostic leur permettra de rougir tout l’automne.
J’avais envisagé un dénouement plus développé pour ce texte, mais il me semble que le laisser comme tel lui ajoute un certain niveau de caractère, et de complexité.
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