Avertissement : La lettre qui suit est un peu plus longue qu’à l’habitude, prenez un moment avec un café ou installez-vous sur votre divan avec un verre de vin afin de lire le tout sans être pressé·e.
Bon dimanche chers·ères lecteurs·rices! D’abord, merci à toutes les personnes qui sont venues dimanche dernier, c’était surper plaisant! Je vais peut-être faire une infolettre avec les notes recueillies sur les vins et le déroulement de l’aprem. J’ai mis quelques photos sur la (toute nouvelle) page Instagram de l’infolettre : allez-la suivre!!!
Autrement, je suis un peu occupé avec ma fin de session universitaire, je vous propose donc, en ce dimanche matin, un texte que j’ai rédigé l’été dernier. Il me semble que c’est un bon moment pour vous le partager, avec le printemps et la saison des terrasses qui approchent. Avec du recul, je ne suis pas trop sûr de ma syntaxe, mais je vous la laisse telle quelle. C’est un essai sur les bars, mais surtout sur la quête de son bar, celui de toutes les occasions. J’ai fait appel à Virginia Woolf dans ma quête d’un titre clic-bait : non pas Une chambre à soi, mais Un bar à soi. Ça n’a rien à voir avec le texte de Woolf, mais j’espère que ça vous plaira tout de même!
C’était un soir du juillet, j’avais quitté le bar Henrietta avant tout le monde, à cause de la pluie qui s’annonçait – je m’y étais rendu à vélo – ; c’était le troisième bar que je faisais depuis l’après-midi, j’avais commencé par le Brouillon, où j’avais mis du temps sur l’infolettre, puis je m’étais rendu au Mëllon pour planifier un voyage de vélo avec deux amis.
La place que j’occupais sur la banquette était le point de jonction entre deux groupes, ce qui me donnait la chance de m’investir un peu dans chaque conversation. Comme je n’étais accroché à aucune des deux, je suis tombé dans la lune en raisonnant sur ce fameux bar Henrietta qui, au cours des semaines précédentes, s’était présenté comme notre bar de toute circonstance. Peut-être était-ce à cause de ses heures d’ouverture : c’est parmi les rares places à être ouvertes jusqu’à trois heures chaque soir, ou était-ce à cause de son emplacement sur l’avenue Laurier qui est une artère centrale? La posture qu’occupait à ce moment le bar Henrietta dans notre quotidien me laissait mitigé. Pour l’ambiance, ça marche : l’éclairage, la musique et la décoration forment un espace agréable où l’on peut s’asseoir pour un verre ou cinq. Malgré cela, le Henrietta me semble incomplet pour un bar de toute occasion. En tant que bar à vin, tout y est, tout est au rendez-vous, c’est super! Mes hésitations portent plutôt sur la place qu’occupait ce bar dans nos vies, en tant que bar de toutes les occasions. Cette réflexion avait démarré à la dernière gorgée de mon second cocktail ; je pris la route de la maison pour mettre sur papier une théorie.
Elle est neuve, cette théorie, elle manque certainement de rigueur et sera sujette à des modifications, mais en voici les fondements. Pour acquérir le statut de bar de toutes les occasions, l’établissement doit remplir un certain nombre de critères...en fait, il se doit de répondre à tous les critères d’une liste plus ou moins exhaustive que je vais énumérer à l’instant. Je vais m’y prendre en formant trois catégories, la première est celle du lieu. Le tout-bar, permettez-moi de le nommer ainsi, se doit d’être géographiquement bien situé de manière à être facile d’accès pour tous·tes, ce qui veut dire qu’il sera près d’une station de métro, à une distance de marche raisonnable de la résidence d’un invité ou d’une invitée – au cas où le groupe souhaite poursuivre la soirée sans se tracasser – et idéalement au bas du Mont-Royal, car pour les cyclistes c’est embêtant d’avoir à grimper la montagne et d’arriver le front perlant à la soirée. Le tout-bar est suffisamment grand pour accueillir tous les gens qui souhaitent y entrer, sans trop l’être non plus, pour qu’il n’ait pas l’air vide s’il n’est qu’à moitié remplit un mercredi soir. Enfin, la terrasse n’est pas un must, mais qu’est-ce qu’elle peut être agréable les premiers jours du printemps, et ceux d’été où il fait vingt-quatre degrés, que le ciel est dégagé et accompagné d’un tout petit vent faisant virevolter les couettes des cheveux longs.
La seconde catégorie est celle de l’ambiance. Virgil Abloh a un jour énoncé : « ambiance is the new vibe », alors c’est à prendre très au sérieux. Les synonymes d’ambiance sont : atmosphère, climat, décor, entourage, environnement, milieu ; tous ces mots rapportent à des agencements d’éléments. C’est une multitude de petits éléments mis en commun qui forme l’ambiance. Cela veut dire que le moindre changement a un impact sur l’ensemble ; chaque microélément formant l’ensemble qu’est l’ambiance nuance l’ambiance. On n’est pas très loin de Deleuze, mais ce n’est pas le moment, donc retournons nous asseoir dans notre tout-bar.
Débutons avec l’éclairage. Si on mange avec les yeux, on doit bien boire avec eux aussi, ce n’est pas pour rien que l’on observe la robe d’un vin, la mousse d’une bière ou la présentation d’un cocktail. La lumière est indispensable, elle se doit donc d’être suffisamment présente pour révéler les traits de chaque breuvage. J’ai établi que dans le tout-bar, on n’est pas plongé dans le noir – f*ck les restos où tu manges dans le noir d’ailleurs –, on veut voir ce qui nous est servi, on veut voir les beaux sourires de nos amis, on veut voir le regard de notre partenaire amoureux et on veut que les autres personnes dans le bar puissent noter l’effort mis dans le choix de nos habits, c’est pourquoi les sources de lumière y sont partagées entre des lampes accrochées au mur, un ensemble de lumière mettant de l’avant le bar – l’éclairage au-dessus du bar à L’Idéal est particulièrement remarquable – ainsi que des chandelles sur les tables. Les chandelles, c’est pour les personnes en date principalement...mais attention! Ne vous laissez pas flouer par les simulacres formés d’ampoules et dont l’énergie provient d’une batterie. Tout comme on aime nos vins vivants, on ne demande rien de moins qu’un éclairage vivant : une flame qui danse et qui dévoile une lueur à la fois les détails du visage de la personne avec qui on a rendez-vous.
L’ambiance est aussi formée par la foule qui occupe le bar. Quel agencement d’êtres humains espère-t-on trouver dans le tout-bar? La réponse dépend de chaque personne, le tout-bar n’est pas un lieu universellement reconnu qui convient parfaitement à chacun ; chaque personne a son tout-bar et c’est en grande partie par la foule que se distingue le tout-bar de l’un du tout-bar de l’autre. Un élément déterminant pour le tri des gens entre les bars est le genre musical qui sort des enceintes éparpillées dans le bar. Ces temps-ci, la techno et la house semblent être les genres dominants dans les établissements montréalais, parce que c’est tendance et aussi parce que, selon mon amie Janna qui travaille dans le milieu, ça donne aux employé·e·s un rythme de travail proactif et aux client·e·s un rythme de consommation très proactif aussi. Donc, la musique électronique est partout, et ce au grand dam de mon ami Francis qui n’aime pas du tout ce style de musique. En contrepartie, ça élimine de nombreux bars dans la quête de son tout-bar. Tant de choses entrent en compte dans cette catégorie, mais afin de ne pas trop m’étirer, je terminerais avec le service. La personne qui te sert au tout-bar sait t’accorder la minute supplémentaire qui lui permettra de savoir quel vin ou quelle bière te proposer, elle est présente, mais sait ne se présenter que dans les moments nécessaires, afin de ne pas couper les échanges qui ont lieu à table. Cette personne, lorsque tu as fait du bar où elle travaille ton tout-bar, sait reconnaître les habitué·e·s et sa salutation lors de ton entrée comporte cette touche d’amabilité et d’hospitalité supplémentaire qu’un·e habitué·e prend plaisir à recevoir dans son tout-bar.
La troisième catégorie...l’alcool! Le tout-bar se doit de maîtriser la sélection des trois familles principales de boissons alcoolisées. Le tout-bar n’est pas un bar spécialisé, il n’aura ni les meilleures bouteilles, ni les bières les plus rares, ni les cocktails les plus recherchés, mais il aura exactement ce qu’il faut pour plaire à quiconque. C’est-à-dire quelques bouteilles de vin nature, un rouge clair avec une légère effervescence, bien frais, prêt à être sorti de la cave les après-midis humides ; un vin de macération, bien nature, italien idéalement, par exemple un malvasia ou trebiano ; deux blancs et un rosé. J’aime quand un bar offre à la fois des pintes de Boréales et des cannettes de Menaud, tu peux, selon ton budget et selon ton envie, commander quatre pintes d’une bière québécoise classique ou déguster une bière au persil de mer suivi d’une pilsner tchèque. Je ne sais pas exactement pourquoi dans les menus ils se retrouvent au même endroit que la bière, mais les cidres sont une belle alternative pour se désaltérer durant la canicule, ainsi on espère en trouver sur le menu du tout-bar. Enfin, les cocktails. J’adore les negronis, c’est mon drink de toutes les occasions, c’est mon tout-drink en fait, il est aussi bon dès 13:00 un samedi qu’à 1:00 du mat un jeudi ; l’été il te rafraîchit, l’hiver il te réchauffe, c’est bon tout le temps…je ferai mon éloge au negroni une autre fois.
Bon j’ai effleuré la question dans ma dernière ligne, mais il faut parler de l’éléphant dans la pièce : la moula ($$$). Au tout-bar, on veut y aller, y retourner, encore et encore. Pour que cela soit possible, il faut que les prix restent dans le seuil de la décence. C’est subjectif bien sûr, personne n’a les mêmes moyens, mais comme vous le savez, je suis étudiant à l’université et mes moyens sont limités, mon tout-bar se doit de n’être trop dispendieux. Un verre de vin, je m’attends à le payer entre 10 et 13 dollars, si plus de la moitié des vins aux verres dépasse la barre des 15 dollars, ce n’est pas mon tout-bar. Une pinte de bière de micro-brasserie à 9-10$, ça me plaît ; elle est à ce prix dans la plupart des bars de mon quartier, c’est le prix qu’on vise. Niveau cocktail, ça dépend du cocktail. 15 dollars pour mon Negroni, je trouve que c’est assez limite, on en trouve relativement facilement à 11, 12 ou 13 dollars encore, c’est donc ça qu’on va essayer de trouver dans son potentiel tout-bar.
Ce dense essai sur le tout-bar n’est certainement pas terminé, il s’agit d’un concept en perpétuelle évolution, un work in progress dans le jargon , mais je m’arrêterai ici pour aujourd’hui. En étant abonnés à La lettre gourmande, vous aurez la chance de m’accompagner dans la recherche de mon tout-bar montréalais cet été!
Bonne semaine, restez gourmand·e·s!
Thomas