Les apéros de patio : la fin d’une ère
Bienvenu à cette seconde publication gratuite de La lettre gourmande, l’infolettre de l’appétit, de la soif et des ventres qui gargouillent. La température qui a abruptement descendu cette semaine m’a inspiré un court récit qui interroge la tenue d’apéros par temps froids. Mieux vaut ne pas se faire d’illusions et accepter que l’hiver est bel et bien arrivé, je vous propose d’y faire face dans le texte qui suit!
La goutte au nez, les bas de laine dans les pieds, il est seize heures trente, le soleil est déjà couché et je grelotte sur mon balcon ; ma coupe de vin est mon jardin givré. Je suis un grand obstiné, tant que sur mon nez nul flocon ne se sera posé, dehors, mes charcuteries je savourerai ; au grand air, mon vin je dégusterai. Je n’arrive pas à m’y résigner, mais décembre est presque arrivé et je crois que c’est le moment de rentrer.
Mon activité préférée de la saison estivale est de me gâter avec un petit saucisson du Cochon tout rond, un bout de fromage et une petite salade (de tomates cerises, de radis, ou autre). Le soleil d’après-midi plombe sur mon balcon avant, c’est mon repère. Je m’y ouvre une petite bouteille de rouge, souvent un gamay ou un cabernet franc ; je pose mon snack sur ma petite table et mes fesses sur ma petite chaise. J’accompagne le tout de mon album musical ou de mon bouquin du moment, puis je pose mon téléphone loin de moi afin de profiter pleinement du moment. Le soleil éclaircit les ombres qui parfois occupent l’esprit et la douce brise emporte les soucis. C’est mon petit me time comme on dit.
Toutefois, l’heure est grave mes amis. La douce brise s’est transformée en des bourrasques glaciales et le soleil, est déjà au lit. Le changement semble avoir eu lieu en une nuit : il y a un magnifique érable sur le terrain, mais plus une feuille n’y est attachée. En fait, il y en a une dernière, elle s’accroche avec peine, elle non plus ne veut pas accepter que bientôt ce sera l’hiver. Elle ne tient à sa branche que d’une main, le vent redouble de force pour l’en faire tomber, mais elle refuse. Tant qu’elle tiendra, je tiendrai sur mon balcon. J’empoigne ma coupe de mes doigts grelottants et j’y pose mes lèvres pour savourer mon vin, mais elles restent collées à mon verre telle une langue à un poteau de clôture. Je me mets à paniquer un peu, j’ai beau tirer, ça ne change rien. Pendant ce temps, la feuille d’érable ne tient qu’à deux doigts. J’exhale de l’air chaud de ma bouche pour que ça décolle, sans succès. J’exhale encore : « hhhhhh, hhhhhh », puis sans que je ne voie rien venir, je reçois un violent coup de fouet au visage qui, séparant mes lèvres de la coupe, passe près de faire renverser tout le vin sur moi. C’est la feuille résistante qui, chassée de son perchoir par le vent, est venue s’étamper sur mon visage. « C'est un signe de la vie », me dis-je. Comme elle, je dois lâcher prise.
Alors je rentre et je pose tout sur la table du salon, je m’assois sur le divan et je m’enveloppe de la doudou. Je prends une bouchée de saucisson et une gorgée de vin...ce n’est pas tout à fait ça, mon setup fait plus soirée ciné qu’apéro décontracté. J’entrevois au loin mon lit, j’entends son appel. Ma copine doit revenir du travail dans peu de temps, ça peut être charmant de l’attendre avec une coupe de vin à la main. Je prends un bon dix minutes à m’installer, je vais jusqu’à allumer une chandelle pour mettre un peu d’ambiance. Je me félicite en remplissant mon verre de vin, mais la célébration est de courte durée. Je reçois un texto : « Finalement, je dois rester pour le close, quelqu’un était malade et est rentré plus tôt. », m’écrit mon amoureuse. Je souffle la bougie que je venais d’allumer. Je change l’album de John Coltrane pour Her Loss qu’ont sorti Drake et 21 Savage il y a deux semaines ; retour au plan du me time.
Au moins, verre à la main et crudités à ma portée, enfouis sous ma grosse couette et écrasé sur mes oreillers, je suis vraiment confortable. Je pique de ma fourchette ma jolie salade de tomates cerises, mais avec un peu trop d’appétit, un peu trop de pression : le jus de l’une d’elles gicle. « Oh shit », me dis-je. Le jus de tomate fait un long vol et s’étend sur un bon 30 cm. Ah oui, un détail : mon couvre-couette est blanc. « Tabarnak », me dis-je.
En frottant avec intensité le tissu à l’aide de ma barre de savon marseillais, mon regard glisse vers la baignoire. « Voilà! », me dis-je. J’envoie culbuter le couvre couette pour trente minutes à la sécheuse ; c’est à mon tour de me tremper. J’installe un petit tabouret à côté du bain et j’y pose ma planche. Her Loss ayant eu le temps de dérouler dans son intégralité, j’opte pour The Low End Theory de A Tribe Called Quest comme accompagnement musical. Selon mon calcul, j’en serai à mon troisième verre quand embarquera Jazz (We’ve got). « Ce sera parfait! », me dis-je. J’enlève mes vêtements, je trace du doigt un bonhomme sourire dans le miroir embué et je me trempe le gros orteil dans le bain afin de tester la température. L’apéro dans le bain doit être la bonne alternative, car l’eau est à parfaite température, ce doit-être un signe! Les tomates cerises peuvent gicler partout, il n’y en a pas de soucis! Bien au chaud, j’engloutis ma collation en un rien de temps. Je fais tourner la dernière gorgée de mon verre que j’ai entamé il y a Dieu sait combien de temps tout en balançant ma tête au rythme de Butter, puis je l’avale. « Tout baigne », me dis-je. Ça n’a jamais été aussi long pour moi de passer à travers un verre de vin, mais le principal, c’est d’être bien dans son bain. J’étends ma main en chantant le refrain, tentant d’atteindre ma bouteille. Je ne tâte que du vide. Je sors mon torse de l’eau et cherche du regard mon doux nectar. Il n’y est point : ni sur le sol, ni sur le comptoir, ni sur le bol. Ma pression monte, ma bouche s’assèche. Il y a un instant j’appréciais le petit goût de confiture de ce cabernet franc, mais là je tombe en en déconfiture. Ce n’est pas possible. Me laissant couler au fond du bain, « esti de con », me dis-je.
Alors je sors de l’eau ; j’ai la chair de poule. Ma main droite va en direction du crochet auquel doit être accrochée ma serviette. Je ne tâte que du vide. Je refuse de tourner la tête. Toute vérité n’est pas bonne à voir. Le problème est que je commence à avoir aussi froid que plus tôt lorsque j’étais sur mon balcon. Je tourne la tête et le crochet est comme moi : flambant nu, pas de serviette en vue. J’exprime mon mécontentement par de nombreux sacres et injures, me traitant de tous les noms. Je reste malgré tout en mode solution. J’ouvre la porte doucement et je regarde à gauche, puis à droite, personne à l’horizon. Le tapis de bain autour de la taille, je traverse l’appartement à la course, mais mes pieds sont encore mouillés et je perds de ma stabilité puis je me mets à glisser et et...
Les yeux vers le plafond, l’épaule endolorie, « rien ne saura remplacer les apéros de patio », me dis-je.
Les beaux jours sont derrière nous, rien ne pourra les ramener, si ce n’est le mois d’avril ou celui de mai. Surtout, rien ne pourra les remplacer. Les apéros de patio, c’est terminé.
Le récit étant conclu, je peux dire deux mots sur cette question des apéros hivernaux. Bien sûr qu’il serait plus simple de se gaver à l’automne, de dormir tout l’hiver et de se réveiller quand les fleurs poussent, mais il faut faire face à la réalité : l’hiver est là depuis une semaine et on ne peut simplement hiberner. Pour garder le moral, une petite bouteille de vin (ou une bonne bière) et quelques bouchées (ou un sac de chips) ne font jamais de mal. Comme l’indiquait le narrateur plus haut, rien ne peut équivaloir à un bel apéro au soleil sur son balcon, mais il y a toujours moyen d’être créatif, de se faire un petit setup dans son lit, au salon ou dans son bain, puis d’y écouter son album du moment ou d’y lire un roman en sirotant un petit remontant.
Personnellement, je n’ai rien contre l’hiver, ça rend la bouffe plus réconfortante. C’est la saison des soupes à l’oignon, de l’osso buco, du mac and cheese et de plein d’autres bons plats qui réchauffent. Ça, on en discutera une autre fois.
Sur ce, j’espère que cette lecture vous a plus, on se retrouve dans deux semaines! Toutefois pour les personnes qui soutiennent le projet, la semaine prochaine sera payante pour vous : un récit sur un resto que j’ai essayé pour la première fois cet été et que j’ai adoré en plus du foodboard #2!
À bientôt!