Le Violon
Compte-rendu critique du restaurant ayant ouvert ses portes sur le Plateau cet été
Ça fait un bout que je n’ai pas écrit de critique. Je reprends l’exercice aujourd’hui, avec un compte-rendu de mon expérience au Violon, la semaine dernière.
Mathilde et moi attendons dans le vestibule depuis plusieurs minutes déjà. Nous regrettons avoir rejeté l’offre d’un rafraichissement, lancée par l’hôte qui nous avait annoncé « quelques minutes d’attente ». L’entrée, un petit espace tout vitré, nous donne un bon point de vue pour examiner les lieux ; mes yeux se posent instinctivement sur une table ronde qui, je comprends rapidement, joue le rôle de carrefour giratoire entre la cuisine, le cellier, le bar et les deux sections du restaurant. Mon regard s’engage dans le rond-point et prend la première sortie : celle du bar. De nombreux luminaires éclairent le comptoir et rendent chaleureux le profond bleu qui tapisse les surfaces de la section. Deux miroirs adoucissent l’arête entre le haut du bar et le plafond.
Quelques heures plus tôt, je recevais un deuxième téléphone me confirmant un deuxième contrat d’enseignement. Réalisant que dès le lundi suivant, le temps passé avec ma copine serait considérablement réduit, j’avais ouvert Resy à la recherche d’une table où passer la soirée. J’étais surpris de voir une table disponible au Violon.
On quitte finalement le vestibule à 21h48, l’hôte s’excuse de l’attente et nous invite à prendre place à une table tout près, dans la section de droite (deux sorties après celle du bar). Le plancher à carreaux rappelle les brasseries françaises. Un plancher de bois foncé recouvre le sol de l’autre section et est très bien agencé à la couleur du bar.
De nombreux plats nous appellent. Nous choisissons d’abord : ‘Thon rouge con tomate’ et ‘Ris de Veau. Rapini. Émulsion au Citron. Oignons’. Ensuite, c’est plus compliqué de faire un choix. La serveuse nous demande ce qu’on veut boire, mais comme toujours, on n’a pas encore jeté un oeil à la carte des vins (même si on sait très bien que ce sera la première question posée). On reconnaît quelques noms - Mosse, Frick, Bouju, Steen ; malgré ça, ce n’est pas la carte des vins montréalaise générique. Parmi les offres en blanc, rien ne me sonne une cloche. Puis, en retournant la carte sur son recto, de la section des macérations ressort le nom de Philip Lardot. Je dis à Mathilde que « c’est le même producteur que la bouteille que nous avait conseillée Mike au Penny ». Nous avons rencontré Mike au Claud à New York il y a environ un an. Quand il vient à Montréal, on lui fait une liste de restaurants à visiter, et vice-versa. On l’a revu en juillet dernier ; on s’est réfugié de la pire canicule que j’ai vécue de ma vie dans le bar à fruits de mers que le Claud a ouvert à l’étage supérieur, le Penny. Mike nous y avait suggéré un Pinot Grigio de Moselle, élaboré par Philip Lardot qu’on a grandement apprécié pour ses rafraichissantes notes d’oranges sanguines. L’excellent souvenir de cette soirée dans East Village en tête, on choisit son Kontakt, en rosé cette fois ; un Pinot Noir. Pour les plats, on ajoute ‘Homard. Chou rave. Concombre, Aneth. Oeufs de Truite.’ et ‘Bar Noir. Sauce Colbert. Haricots Plats’ à notre sélection.
Mathilde est à la salle de bain quand la serveuse arrive avec le vin. « Est-ce qu’on attend une minute? », me demande-t-elle, pointant du regard la banquette vide devant moi. Normalement, j’aurais attendu, mais il est presque 22h00, donc je me charge seul de goûter. Il est franchement super. Je souligne mon enthousiasme à la serveuse, tandis qu’elle remplit nos verres. Elle me laisse savoir que Lardot a quelques fans dans l’équipe du Violon ; j’interprète cela comme un bon présage.
Mathilde revient des toilettes ; elles lui rappellent celles de New York – les toilettes des restaurants qu’on visite à New York ne déçoivent jamais. Je m’y rends avec de très hautes attentes. Les tuiles rouges contrastent avec les couleurs plus froides de la salle. L’éclairage est comme il se doit : chaud, et positionné de manière à ne pas faire apparaître des poches sous les yeux. Du violon est superposé au son de la salle, qui résonne à travers la porte, ce qui donne à la toilette sa singularité. Le savon est un simili Aesop/Le Labo ; son parfum est un peu moins intense que ceux-ci, ce qui est bien - ça ne vient pas troubler la dégustation du vin, de retour à table, lorsqu’on rapproche la coupe de notre visage. Il y a un hic qui m’empêche de soutenir la proposition qu’a énoncée Mathilde. Pour être pleinement une toilette newyorkaise, il faut une bougie ! Pas nécessaire d’avoir une Diptyque, mais le parfum d’une chandelle est l’élément clé qui sépare ce petit coin du reste du restaurant. Ça feel encore plus comme un refuge où reprendre son souffle un instant, avant de replonger dans le rallye de couverts et de bouteilles qui court en salle.
On reçoit nos entrées et on commence par le homard. C’est un plat super intéressant au niveau des textures : elles diffèrent d’un ingrédient à l’autre, mais s’harmonisent très bien. Des petites feuilles d’estragon unissent les saveurs. Le céleri-rave est tranché à la parfaite épaisseur et le concombre est drôlement mon ingrédient préféré. Le plat aurait pu n’être que ces légumes dans la vinaigrette à l’aneth, qui évoque fraicheur et familiarité, et j’aurais été très content. Mais il y a plus ! Mon palais accueille avec plaisir les morceaux de homards et les œufs de truite, qui soulèvent le plat.
Dans l’assiette à côté, le thon et la tomate sont indistinguables l’un de l’autre. J’en dépose, à l’aide d’une cuillère, sur un morceau de pain grillé arrosé d’huile d’olives. C’est remarquable. Je n’arrive pas à isoler le goût de chacun des ingrédients, ils se combinent parfaitement. C’est une merveilleuse idée que d’utiliser l’acidité de la tomate dans le tartare. C’est beaucoup plus doux que les autres ingrédients tenant le même rôle habituellement (lime ou citron, en général). L’huile d’olive au fond de l’assiette est délicieuse. C’est vraiment mon genre, cette entrée. Ce n’est pas compliqué, et simplement excellent.
Mathilde cale ses verres de Kontakt : « Il est trop bon!! », je peine à la suivre. J’entends une seconde chanson de Kurt Vile depuis notre arrivée. Ce restaurant et moi avons décidément pas mal de goûts en commun. On attend avec impatience le bar noir. Ce sera le troisième poisson avec ce style de sauce (française et bien beurrée) qu’on dégustera cet été ; le premier était un omble chevalier à Salle Climatisée et le deuxième était au Penny : une truite inspirée de la sauce à l’oseille de Maison Troisgros.
Le bar atterrit sur notre table, enterré sous une colline d’haricots plats grillés, et entouré de sauce. Il y a une tonne d’œuf de poisson un peu partout dans l’assiette. Les haricots sont peut-être mon élément préféré du plat, ils sont sucrés et encore un peu croquants. Le bar est vraiment bon, la sauce aussi. Comme c’est mon troisième plat du genre en peu de temps, je suis plus critique. Ça fait que je trouve qu’avec les œufs de poisson, le plat est un peu salé. Il n’est pas trop salé, mais il n’est pas non plus parfaitement équilibré. Ça m’aurait pris un petit quelque chose pour redresser mes papilles. C’est un très, très bon plat, mais je le classe troisième, derrière celui de Salle Climatisée, et celui du Penny, qui trône.
C’est l’heure du ris-de-veau ; j’adore le ris-de-veau. L’assiette est différemment présentée des précédentes. Chaque ingrédient occupe son espace respectif dans l’assiette. À l’est le ris-de-veau, à l’ouest le rapini, au sud l’émulsion et au nord l’oignon. Je combine sur ma fourchette un petit morceau de chaque ingrédient. À la première bouchée, c'est mon plat préféré. Mathilde et moi, on se regarde en se disant que « c’est de la bombe ». Le ris-de-veau est un peu sucré, ça rappelle un genre d’aigre-doux, c’est dur de pointer ce vers quoi l’assaisonnement tend. L’émulsion au citron est toute légère. Le rapini grillé, puis haché, superpositionne l’amertume du légume en lui-même et celle procurée par son noircissement à la cuisson. On dirait que l’oignon a été mariné avant d’être cuit, tant il est concentré de saveurs. Tout va très bien ensemble ; c’est le meilleur plat de viande que j’ai mangé cet été.
Nous échangeons quelques mots avec la serveuse alors qu’elle débarrasse les assiettes. La question fatidique est posée : « un dessert ? ». Notre ami nous a parlé du gâteau basque, on commande donc cela.
Quelques instants plus tard, une employée dépose au centre de la table le petit gâteau, avant d’avoir la malaisante tâche de verser la crème sous nos yeux. Sauf quelques rares exceptions, je crois fermement qu’il faut bannir l’assemblage de plat aux tables, car ni les clients, ni les employé.e.s ne sont à l’aise avec ça. À mon avis, mieux vaut mettre le plat sur la table, dire « voici le … », répondre aux questions s’il y en a, et permettre aux convives de reprendre la conversation où elle a été laissée. Mais bon, j’imagine que ça fait plaisir beaucoup d’autres personnes.
« Tu sais, dans Critics at Large, quand ils parlaient du “Cheese Pull”, c’est leur version ici », me dit Mathilde en riant. Dans un épisode du podcast culturel du New Yorker, les animateurs discutent de la nécessité, pour les restaurants ouvrant leur porte durant notre TikTok era, d’avoir des plats ayant un aspect 3D, comme des “wiggly cakes or jello based things, or cheese pull” qui captent l’attention sur les réseaux sociaux. “Restaurants make dishes that occasion these money shots”, argumentent-ils, afin d’attirer de potentiels clients. Il n’y a aucun doute qu’une table sur deux attend impatiemment, caméra parée, la chute de la crème sur le gâteau chocolaté pour signaler sur Instagram à leur entourage leur visite au Violon.
Donc bon gâteau pour la business, et bon gâteau tout court. C’est deux fois plus léger que ça en a l’air. Pour Mathilde et moi, c’est la version light d’un gâteau au chocolat mangé au Servan, à Paris, il y a quelques années. Ça nous rappelle un beau souvenir de voyage.
Une note sur le service : il était parfait. Le temps de présence à table et le niveau d’attention était optimal. J’avoue préférer les professionnel.le.s appliqué·e·s aux cool kids en cargo shorts (parfois) nonchalants ; le type de service offert au Violon tombait donc dans mes cordes.
On ressort du restaurant en ayant presque trop manger. On ne peut mieux se sentir en sortant d’un restaurant qu’en frôlant le trop plein : c’est le signe qu’on en a profité pleinement, sans se sentir croche. Sur la marche du retour, on souligne que c’est la première fois depuis longtemps qu’on est aussi agréablement surpris par un restaurant de notre ville.
Je ne donne pas et je ne donnerai jamais de notes à un restaurant – jusqu’à ce qu’on me paye pour, lol –, parce que c’est stupide et réducteur d’enfermer la complexité de l’expérience sous une échelle numérique, mais si j’avais eu à en donner une au Violon, elle aurait été pas mal haute.
Je cherche déjà une excuse pour y retourner.
Merci pour votre lecture,
Thomas