Après avoir déposé un rouleau de Portra 400 à développer au Studio Argentique, je dévale Saint-Urbain et je pousse fort les pédales de ma bicyclette au bord du canal Lachine afin de me rendre au Elena. Ce midi, Ha’s Dac Biet y fait spécialement des bánh mì. “11h30 à Sold Out”, avais-je lu plus tôt. Ne voulant trop jouer avec le feu, j’étais parti de bonne heure de la maison ; il était 12h30 et je verrouillais mon vélo dans la ruelle arrière du Elena. Je naviguai à travers la terrasse bondée de monde et je me glissai au bout de la petite file à l’intérieur. Après avoir patienté une dizaine de minutes, c’était mon tour de commander : “Je prendrais deux bánh mì, un de chaque sorte svp!”.
“Je suis désolé, on vient tout juste de vendre les derniers.”
Après avoir lunché au Verre Volé, à Paris, en 2022, j’avais mis l’oeil sur un restaurant voisin, le Early June. En cherchant sur leur Instagram, j’avais découvert qu’un duo newyorakis,
y étaient en résidence. En photo, leur nourriture semblait fabuleuse. Je décidai d’attendre que Mathilde me rejoigne à Paris, la semaine suivante, pour y aller. Une fois réunis, elle et moi, nous réalisâmes que le Early June fermait pour les vacances le jour précédant. C’était décevant, mais l’occasion de goûter la cuisine de la paire de newyorkais.e.s se retrouverait sans aucun doute dans un avenir proche.L’été suivant ; l’été dernier, j’étais enchanté de voir que Ha’s Dac Biet étaient reçu.e.s à Salle Climatisée. Nous n’allions pas manquer notre chance, cette fois. Je consultai les dates dans mon calendrier : “Ayoye, on est à New York tout ce temps-là.” C’était décevant, mais nous allions être à New York, donc ça allait quand même. Je trouvais toutefois cela un peu absurde.
Il y a deux semaines, le Nora Gray publie une infographie dans laquelle sont inscrites les lettres : Ha’s Dac Biet. La frénésie s’est transformée en désenchantement quand j’ai lu “Le 7 & 8 juillet 2024”. C’est quoi la joke? On sera encore une fois à New York! Mathilde et moi essayons depuis 2 ans de manger un de leurs plats, on les suit sur Instagram et Substack et on trouve qu’ils sont le couple goals du monde culinaire, qu’est-ce qui fait qu’on ne peut jamais avoir le bon timming?
Puis, une fenêtre s’est ouverte, plus tôt cette semaine. Le Elena a annoncé que des bánh mì conçus par vous savez déjà qui seraient offerts le 5 et 6 juillet sur l’heure du midi. Mathilde travaille un trop loin pour s’y rendre durant sa pause, je lui propose donc d’aller les chercher samedi midi et qu’on dîne ensemble.
(Retour au premier paragraphe ici)
Je suis (pardonnez l’expression non approuvée par l’OQLF) bummed out. Je suis en déconfiture. “Sold out en 1h, wtf”, que je texte à Mathilde. “Omg t’es pas sérieux”, qu’elle me répond. “On a toujours nos sandwichs sur la carte.”, m’indique la personne au comptoir. “J’aurais besoin de 2 minutes, je m’excuse.” Je me demande quelle est cette force dirigeant l’univers qui me refuse ce plaisir gastronomique. J’appelle Mathilde et je lui demande si elle veut un hoagie à la place. Je ne feel pas du tout pour un hoagie, parce que les bánh mì sont mes sandwichs préférés ; je fais la baboune intérieurement. Si je n’étais pas allé faire développer mon Portra 400 et que j’étais arrivé 5 minutes plus tôt, j’aurais eu les bánh mì :((( .
Mon cerveau est en mode enfant. Je n’ai toujours pas envie de manger un hoagie, mais j’en prends quand même deux ; au moins je pourrai dîner avec mon amoureuse. Je prends un cortado pour en attendant. Il ne me restait plus de café, ce matin, j’ai mal à la tête, 12h30 c’est trop tard pour un premier café.
Je m’assois au comptoir en attendant. J’ai toujours un livre avec moi quand je n’en ai pas besoin. Je n’ai jamais de livre avec moi quand j’en ai besoin. J’ouvre donc Substack et j’en profite pour y lire quelques textes. Après environ 15 minutes, une personne vient me voir. “Thomas? Finalement, ça serait possible de faire les sandwichs spéciaux, si vous voulez encore!” Hummm, oui SVP! Je la remercie 15 fois ; le client qui était après moi verra aussi son hoagie transformé en bánh mì. Je lui lance un “On a de la chance.” C’est merveilleux.
Quelques minutes plus tard, on me glisse dans les mains les sandwichs. “Merci infiniment!”
Je pose les bánh mì dans le panier de ma bicyclette et je fly au bord du canal Lachine jusqu’à la galerie à laquelle travaille Mathilde. Je lui ai gardé la surprise. On débale les bánh mì, ils sont magnifiques, dans les pains du Elena.
Le bánh mì est mon sandwich préféré. Quand j’habitais près du coin Jean-Talon/Saint-Denis, a.k.a. l’intersection du bánh mì, j’en mangeais au moins 2 par semaine. Quand j’arrivais à l’université pour mon cours de 13h00, mes collègues de classe n’étaient jamais surpris.e.s de me voir entrer dans la salle avec, dans les mains, les dernières bouchées d’un sandwich vietnamien. Ça a toujours été un lunch idéal pour moi ; il rallie la rapidité (il y en a toujours 3-4 de déjà prêts au marché oriental Saint-Denis), l’économie (entre 5,75$ et 9$ dans les commerces de l’intersection du bánh mì), l’efficacité (ça se mange en marchant de la station Université de Montréal jusqu’au Pavillon Jean-Brillant, et surtout le plaisir gustatif. Depuis que j’ai déménagé dans le néant culinaire de la rue Masson (voir l’infolettre abordant cette question), ma consommation de bánh mì s’est effondrée. J’en crave tout le temps, mon corps l’appelle.
Devant les deux sandwichs, je me sens emporté comme dans un rêve. Nous goûtons d’abord au bánh mì pate. C’est ridiculement bon. Le pâté de foie est incroyable. C’est spécial de goûter une version autant travaillée d’un plat qui, à l’habitude, se ré-inscrit sensiblement de la même manière dans ma mémoire gustative, qu’importe qui le cuisine. Nous goutons ensuite au bánh mì trong, composé d’œufs, du fromage Bête à Séguin (qui est déjà dans nos fromages queb préférés), de chili doux et des mêmes légumes marinés. Je ne pense pas exagérer en disant que c’est le meilleur sandwich que j’ai mangé de ma vie. La bête à Séguin est toute fondue, elle tisse ensemble le pain et l’oeuf, qui goûte ridiculement bon. Je ne vais pas décrire plus en détail le sandwich parce que c’est un sandwich, et ça doit rester simple. Et quand des choses sont trop bonnes, je les épuise dans l’écriture, et mon souvenir est moins riche. Je veux juste souligner à quel point je suis reconnaissant d’avoir pu goûter la meilleur version possible de mon sandwich préféré, conçu par Ha’s Dac Biet en plus.
Je serai rendu à Albany ou un peu plus au sud encore lorsque vous recevrez ce texte. Je n’aurai pas eu le temps de corriger les coquilles s’étant glissées dans les mots qui précèdent. C’est parce que j’aurai voulu vous raconter rapidement la petite histoire qui m’a mené à déguster les meilleurs sandwichs de ma vie. Je vous reviens après New York, avec un petit carnet culinaire de voyage, qui sait.
À plus,
Thomas