Toutes les sorties au restaurant ne peuvent être des expériences positives. J’ai toujours beaucoup de chance, je suis très rarement déçu par un restaurant, autant à la maison qu’en voyage. Malheureusement, ma plus grosse déception culinaire a eu lieu la semaine dernière, dans un restaurant de la capitale culinaire mondiale, Copenhague. J’étais dans la ville pour 48h, et j’ai tout misé sur un nouveau restaurant (c’est risqué, je sais) d’un chef qui, j’avais cru comprendre, est assez réputé.
Je m’abstiens habituellement de partager mes expériences négatives, mais comme il s’agit d’un resto à 5000km d’ici, et que le chef y est une vedette locale, je ne me sens pas tellement mal de décrire ma déception avec dérision.
Cette infolettre est l’occasion pour vous de passer une soirée à Copenhague en ma compagnie, depuis votre salon ou durant votre trajet de métro vers le boulot.
Les nuages surplombant Copenhague échappent quelques flocons sur les trotoirs de Indre By. Je déambule dans les rues enlaçant le restaurant Bobe, me rapprochant minute après minute de l’heure de ma réservation. Le coeur de Copenhague est déjà calme, à l’exception de cette rue, pas trop loins, où se trouvent les boutiques Ganni, Moncler et Tekla.
Je tire la poignée d’une jolie porte verte, et j’entre dans le restaurant. Pas tout à fait, je reste pris dans le portique ; derrière la seconde porte, des gens enfilant leur manteau ne prennent conscience de ma présence qu’après quelques secondes. Je remets mon manteau à l’hôtesse que m’invite à m’asseoir au bar en attendant que ma table soit prête. Le barman m’invite à son tour à ranger mon sac fourre-tout dans le garde-robe, mais il contient mon carnet de voyage, le seul être avec lequel je peux partager mon repas. Je lui indique, comme je l’ai fait avec l’hôtesse quelques secondes plus tôt, que je désire garder mon sac. Alors que j’y range mon casque d’écoute dans lequel jouait une chanson de King Krule, le jeune homme derrière le bar me pose une question que je ne saisis pas trop. Une semaine plus tard, je tomberai sur une vidéo Youtube du créateur géo-mèmétique (géographies et memes combinés) Geopold, dans laquelle il dira de l’accent danois : “their accent sound like german but with peanut butter stuck to the roof of their mouth”. Je trouverai cette comparaison très juste. Je demande au barman de répéter sa question. How do you like you AirPods man? Il y a mille et une façons d’entamer une conversation. Me poser une question sur mes écouteurs, qui ne sont pas des AirPods, d’ailleurs, est la manière la plus random de m’aborder. Que suis-je censé répondre ? There is a depth in the sound that I have not been able to find in any other pair of headphones whatsoever. I hear sounds in Taylor Swift’s “Bejeweled” I have never noticed before, it is amazing. Certainnement pas. Je rétorque simplement oh they sound great, espérant passer à un autre sujet. Il ne s’arrête pas là, malheureusement, et il se met à me parler d’une marque d’écouteurs danoise. Je n’en ai bien sûr rien à faire, mais j’écoute, poliment. En tous cas, je ne vais pas vous faire vivre le même ennui quand même.
L’hôtesse vient me sauver quelques minutes plus tard, m’informant que ma table est prête. Or would you rather stay at the bar? Oh non merci. I’d much rather sit at the table.
La salle à manger est magnifique. Le mobilier en bois est très beau, c’est très scandinave bien sûr. Plusieurs tables rondes occupent les différentes pièces de la salle à manger, permettant à l’énergie de circuler entre celles-ci. L’éclairage est parfait, les lampes tombant du plafond sont accompagnées de bougies sur les tables. Ma première impression est des plus positives. Il y a un foyer dans l’une des pièces. Depuis ma table, je vois sa lumière rencontrer les autres convives.
On m’apporte le menu. Il y a la possibilité de prendre un cinq services, ou de choisir les petits plats à la carte. Les vins, au verre, sont à un prix absurde. Le moins cher est 20$, un grüner vetliner bien ordinaire qui vaut…20$ la bouteille ; la moyenne est à plus de 28$. Je ne suis pas surpris, car en Suède aussi le vin était cher. La différence est que dans les restaurants que j’ai visité, ils étaient chers, mais intéressants. Je vais faire un compromis. Pas de vin, mais le menu cinq services. Je suis venu ici pour la nourriture de toute façon.
Je laisse savoir mon choix au serveur, il répond. Like a chef! My dad is a chef, and when he tries a new restaurant, he always gets the tasting menu and water. Je ris avec lui, et il me propose de garder le menu sur la table afin de suivre les plats qui me seront servis. Le menu n’est qu’une feuille de papier repliée sur elle même. Je sais que c’est très scandinave le minimalisme, mais il fait un petit peu pitier sur ces belles tables auxquelles on sert une ficelle (une mince baguette), un petit cylindre de beurre et de la fleur de sel. Le fils du chef dépose ces trois indispensables du Bobe sur la mienne. Is it homemade bread? Yes of course! And sourdough? Absolutely! L’idée, c’est de s’arracher des bouts de pain avec les mains au fur et à mesure. Je trouve cela bien de forcer à manipuler sa nourriture avec les mains, c’est une barrière que l’on franchit rarement dans les restaurants “occidentaux”.
Le premier plat m’est présenté : un pétoncle “gratiné” au miso et au babeurre. Le pétoncle repose dans sa coquille, le miso le recouvrant est noirci. Je tente de me prendre une première bouchée, mais la fourchette seule n’est pas suffisante pour me négocier une portion. Le couteau vient à la rescousse. Le miso est très puissant, et il colle un peu aux dents, étant donné qu’il a caramélisé. Le pétoncle est… correct, mais sa texture n’est pas comme il se doit. C’est limite trop cuit, un peu caoutchouteux. Pas tant, mais sur la limite. Vous savez, quand on joue aux quilles, et que la boule de quilles est en train de frôler le dalot, mais qu’elle hésite entre rester sur la piste ou y tomber ? Bah la cuisson du pétoncle est dans cette situation. Je ne sais pas trop en quoi le miso, caramélisé et en telle quantité, est censé agrémenter le fruit de mer. Il prend, à mon avis, trop de place et cache les éléments gustatifs les plus intéressants du pétoncle. L’élément principal devient secondaire.
Le plat terminé, je raconte ma journée à mon journal, y ajoutant bien sûr quelques remarques sur le repas. How was it? Me demande une serveuse qui s’empare de mon assiette. Je lui réponds que c’était bien. Un journal est un super compagnon de table, lorsqu’on dîne seul. Il ne siphonne pas toute mon énergie et mon attention comme le fait le téléphone cellulaire. Il ne me coupe pas non plus de mon environnement, ce qui est essentiel si l’on accorde de l’importance aux plaisirs de la table.
Le chef vient déposer le deuxième plat sur la table. Il me le présente avec le sourire : Jerusalem artichokes with arabica coffee and hazelnut oil, enjoy! Je n’ai pas de données cellulaires, je ne peux donc consulter la traduction de jerusalem artichoke avant ma première bouchée. Visuellement toutefois, je reconnais ce légume racine que je chéris depuis mon enfance : des topinambours. À la première bouchée, je trouve que c’est une intéressante combinaison de saveurs, avec le café et la noisette. Plus j’avance dans le topinambour, plus je trouve que la texture est squishy. Ils sont trop cuits. Le topinambour trop cuit, c’est un peu comme le chou-fleur trop cuit, il perd tout son charme, et ses qualités gustatives sont vite oubliées. Je termine l’assiette malgré la texture pâteuse du légume. Je n’aime vraiment pas me plaindre au restaurant. C’est tellement inconfortable comme situation, surtout si tu es conscient que des humains sont derrière le plat et que l’erreur est possible.
Mon serveur du début repasse et me demande ce que j’en ai pensé. Comme nous avons connecté un peu au début, je me permets de lui mentionner que les topinambours me semblaient trop cuits, et que leur texture était pâteuse. Je ne sais pas si c’est parce que nous nous perdons dans la traduction, mais il me laisse croire que le plat est supposé être ainsi. Je suis dubitatif.
J’ai ensuite droit à une salade d’épinards, de kale noir et des câpres d’ail sauvage. Ça, c’est une excellente salade, elle rend compte de la nordicité de la cuisine et me plonge dans la forêt boréale. L’équilibre entre les différentes feuilles est parfait. La vinaigrette est juste assez présente. C’est très bon!
Puis le chef, dont l’oreille a peut-être été titillée par le commentaire que j’ai donné à mon serveur, m’amène un plat n’étant pas dans la liste des cinq services. C’est un artichaut avec oseille et ail. Je ne peux toutefois pas commencer à manger puisqu’on a oublié de m’amener des couverts. La cuisine est tout près, et le chef remarque la situation. Il arrête une des six personnes faisant le service afin qu’elle me donne de quoi manger. Le mets de résistance, du faisan accompagné de champignons Shimeji m’est remis par un nouveau serveur.
Ça m’embête énormément de me faire servir par littéralement 5 ou 6 personnes différentes. C’est normal qu’on oublie de me donner couteau et fourchette si c’est toujours une personne différente qui passe à ma table. Je ne sens pas que c’est le travail de quelqu’un, ici, ce soir, de s’assurer que je sois bien, et que j’ai tout ce qu’il me faut pour profiter de mon repas. Je mets quand même pas mal d’argent dans cette soirée en échange d’hospitalité. Je reviens aussi d’une conférence sur la gastronomie, où la notion d’hospitalité était abordée dans plusieurs présentations ; en plus de ma propre expérience, j’ai globalement une assez bonne idée de ce que ça veut dire, bien recevoir. Quand cinq personnes différentes passent à ma table, je ne peux pas développer de lien de confiance avec qui que ce soit. Ne connectant avec personne, je ne sens pas que je suis totalement inclus dans l’environnement, il y a une barrière qui reste présente. Un bon restaurant et un-e bon-ne serveur-euse réussi à faire tomber cette barrière dans les premières minutes. C’est primordial afin d’avoir une belle expérience en tant que client.
Le dessert, heureusement, est le hit de la soirée. Un gâteau glacé au raifort et caramel salé. C’est hyper savoureux. Le goût du raifort est super puissant, le caramel enrobe son intensité et le tout balance trop bien. C’est un fabuleux dessert. C’est le genre de chose que j’espérais goûter à Copenhague. Ļe plat suscite l’émotion que j’aurais aimé ressentir dans ceux qui l’ont précédé. Mais bon, c’est mieux que rien. C’est déjà un privilège incroyable de pouvoir être dans cette ville.
La table en diagonale de moi vient de repositionner les bouteilles de vins qu’ils ont terminées, de manière à ce que les gens passant devant remarquent les étiquettes “Grands-Échézaux”, “Maison Champy”, etc. En d’autres mots, “nous sommes des finance bros et nous voulons que vous le sachiez”. C’est le quiet luxury du monde culinaire. Si tu sais, tu sais que ça vaut plus que ton loyer. Anyway, la plupart des tables autour de moi dégagent une énergie similaire. Il manque un peu de vie, dans ce si bel endroit. C’est triste. Cela n’est toutefois pas la faute du restaurant.
Les vibes (lol) ne sont pas au rendez-vous, le service non plus, et la nourriture, pas trop. On me demande si je désire quoi que ce soit d’autre, mais j’ai déjà donné toutes les chances que je pouvais donner à Bobe. Je prends la facture. Sur celle-ci, je vois qu’on me charge l’équivalent de 8$ pour “Vand”. What’s this? This is water. Oh, you charge for tap water here? Actually it is not tap, it is water from a mill where it is charcoaled filtered without the use of chemica… Ce 8$, Bobe, diluez-le dans le prix des plats, faites-moi pas chier à me le charger après et m’expliquer que l’eau plate vient d’un moulin à 43km au nord de Copenhague, j’en ai rien à faire. Brita would have done the filtering job perfectly, to be honest. Je ne l’ai pas dit à voix haute. Pour un restaurant qui n’est pas capable de livrer des plats réussis, la source d’eau choisie devrait être la dernière des priorités. L’eau plate n’est la priorité de personne à ce que je sache. Ça me fait déjà mal de dépenser plusieurs heures de travail dans un souper qui ne vallait pas tout cet argent, me prendre les 8$ que j’avais l’intention de mettre dans le MAX burgers (une chaîne de fast-food scandinave) qui devait me réconcillier avec Copenhague avant mon départ, ça m’écoeure un peu. We’re not in the middle of the summer in Sicilly, what the hell. Ça aussi, je l’ai gardé pour moi. Si ça avait été une belle expérience, le 8$ je l’aurais oublié au moment d’insérer ma carte, mais comme rien ne fonctionnait, je l’ai pris comme une insulte. J’auto-analyse ma réaction, et je trouve que c’est fou comment l’expérience globale influence de petits détails comme celui-ci, et vice-versa.
Bref, je range mon carnet et je me rend vers l’entrée, où personne n’est disponible pour me remettre mon mateau. Il se trouve dans une salle aux portes closes ; puis-je aller le chercher moi-même? Par chance, l’hôtesse qui m’a accueillie en sort, son propre manteau sur le dos. C’est la deuxième fois qu’elle me sauve ce soir. Elle me dit que je peux aller chercher le mien, me pointant son emplacement approximatif. Avant de sortir, j’enfile mon casque d’écoute. It’s a Shame About Ray des Lemonheads accompagnera ma marche nocturne vers l’hôtel.
C’est dommage de finir ce séjours sur une telle note. Je sais toutefois que je vais retourner à Stockholm un de ces quatres. J’en profiterai pour redonner une chance à la gastronomie de Copenhague…
Merci d’avoir partagé ce souper en ma compagnie! Ça vous plu? Partagez ce texte à des ami-e-s, c’est la meilleure façon de me remercier :
On se retrouve bientôt!
Thomas