Quand j’ai commencé à étudier la littérature, il y a quatre ans de cela, je rejetais tous les objets culturels pop provenant des États-Unis. Mon diplôme collégial en cinéma m’avait préparé à dédaigner les blockbusters et à plonger dans des niches cinématographiques ou littéraires peu fréquentées. Ma copine dirait aujourd’hui que j’essayais d’être un pick me boy. Le pendule de ma consommation culturelle a balancé à l’autre extrémité depuis l’obtention de mon bac. En musique surtout, j’ai délaissé le plus expérimental pour le plus pop, et ça fait du bien.
Même si nous vivons à l’ère des playlists, sauf une ou deux exceptions – des listes de lectures aussi bien commissariées que les salles d’expositions du MoMa –, je ne jure que par les albums. J’aime mieux entrer dans l’univers d’un·e artiste pour 55 minutes que de changer de style ou d’arrangements musicaux à toutes les trois minutes.
J’ai toutefois un problème. J’en avais un en fait. Aucun album pop sorti au courant des deux ou trois dernières années ne savait me donner l’énergie qu’il faut pour me lancer dans la préparation d’un repas d’été frais et énergique, avec lequel recevoir des potes. Tigers Blood de Waxahatchee était jusqu’à récemment mon album préféré de l’année, mais c’est plus adéquat pour un café matinal. Si, musicalement, Guts d’Olivia Rodgrigo est énergisant, j’ai de la difficulté à ne pas me dire que je suis un peu trop vieux pour les paroles. Je suis enthousiaste à l’écoute des premières chansons, surtout “all american bitch” et “ballad of a homeschool girl”, mais il m’est assez difficile d’écouter “get him back” et “the grudge” sans me dire que c’est de la musique pour adolescent·e·s en peine d’amour.
La semaine dernière mon problème s’est réglé avec la sortie de Brat de Charli xcx. C’est le premier album pop de la décennie qui est réellement cool. La campagne marketing ayant mené à la sortie de l’album était sans précédents ; à commencer par le rocambolesque Boiler Room de cet hiver, que j’ai réécouté au moins 10 fois.
Vendredi dernier, Brat était finalement disponible en streaming. J’ai enfilé mes XM5 pour m’assurer une expérience sonore optimale, et j’ai sorti ma farine du garde-manger pour préparer de la focaccia. L’album s’ouvrait sur deux singles parus dans les semaines précédentes, puis les nouveautés se mirent à s’enchaîner avec énormément de fluidité. J’ai dû abandonner ma pâte pour toute la durée de la chanson “Talk Talk” qui me fît lever le son de mes écouteurs au maximum et danser comme je n’avais dansé depuis des années. Beaucoup de chansons arrivent à me faire bouger légèrement, mais très rares sont celles qui me font oublier tout ce qui m’entoure et m’emportent ainsi, surtout quand j’ai les deux mains dans la pâte. Dans les parutions pop récentes, je ne me souviens pas avoir ressenti une telle énergie à l’écoute d’une pièce musicale.
Plusieurs critiques ont souligné l’influence de la pop des années 00, et le soulagement d’enfin obtenir un album d’une artiste qui ne prétend pas être comme vous et moi : “It’s the era of the relatable pop star, where the Machiavellian hustlers of the music industry A-list write songs about being as unlucky and confused as you and I. These days, the world’s biggest musicians are apparently also the salt of the earth, perpetually downtrodden by their relationships or jobs”, écrit Meaghan Garvey sur Pitchfork. Je pense au simple titre du dernier album de Taylor Swift, The Tortured Poets Department qui – bien que Mathilde m’ait expliqué la référence –, m’est incroyablement repoussant et m’a coupé tout envi d’y prêter une oreille.
Brat, qui commence avec la chanson “360” et termine avec “365” est déjà le meilleur compagnon de mes soirées, et ce sera le cas tout l’été. C’est un cercle parfait : le meilleur album pour préparer le souper, et le meilleur à lancer une fois le repas terminé, si on se laisse tenter par une autre bouteille de vin et le souhait d’étirer le moment. C’est un album qui ouvre les portes de la nuit. Ces dernières, que je ferme habituellement en écoutant des albums d'Éthio-Jazz qui me bercent avant d’aller au lit.
Dans notre ère dominée par les relations parasociales, les temps-écrans de 6+ heures et la crainte de se heurter à l’inattendu en mettant le pied dehors, Brat donne la poussée dans le dos nécessaire pour sortir de chez-nous et aller à la rencontre des potentiels de notre monde. Il y a une force contenue dans la musique qui dépasse les mélodies et les paroles. Lorsque les chansons nous rencontrent, elles nous transfèrent leur élan, et nous incitent à profiter des expériences et des plaisirs à notre portée.
On a suffisamment d’artistes musicaux qui s’enferment trois semaines dans un chalet dans les bois pour en ressortir avec leur musique « la plus vulnérable ». On peut lire une vulnérabilité dans les paroles de quelques chansons de Charli xcx, mais ce n’est pas la raison d’être de l’album. Contrairement aux autres artistes de sa génération – excepté quelques-un·es–, sa musique donne le goût de vivre ; j’avais perdu le FOMO depuis un an ou deux, mais Brat me rappelle que je passe à côté d’expériences et d’émotions fortes en me contentant du confort de mon appartement dont la composition est calculée au bouquin près.
Enfin, on manque cruellement de hits autour desquels se rejoindre – ce qui explique notre fascination bourrée de nostalgie pour les hits des années 00 et 10 de Nelly Furtado, Lady Gaga, Justin Timberlake et Rihanna. Charli xcx est parmi les premières artistes de notre génération à nous fournir un album remplit de hit. Le jour est venu où l’on peut enfin ajouter de nouvelles chansons à la rotation et sortir du cercle sans fin des mêmes 10-15 chansons classiques Y2K.
Accueillons Brat avec grand plaisir, ça fait du bien d’entendre de la nouvelle musique qui est fun et sur laquelle tous·te·s ont envie de danser.
Bref, si vous venez souper chez-moi, et qu’en ouvrant la porte d’entrée, vous entendez “Mean Girls” dans la cuisine, attendez-vous à un repas incroyable. Puis, si vous êtes un peu déçu·e d’avoir manqué “B2B”, sachez que les enceintes et le subwoofer de mon salon attendent avec impatience la fin du souper pour faire jouer ces chansons à fond.
À plus,
Thomas