PREMIÈRE LETTRE OFFICIELLE 🍸🎉 : Je n’avais aucune idée avec quelle lettre commencer cette “aventure”. Non pas aventure, ça fait trop “l’aventure OD”, on va s’en tenir à correspondance, ça fait plus lettré et plus sérieux. Ce très sérieux projet démarre avec la toute première lettre gourmande que j’ai écrite. C’était l’anniversaire de mon amie Janna en mars dernier, je trainais un calepin sur moi pour la première fois et j'ai noté plein de détails de toutes sortes à partir desquels j’ai écrit le récit qui suit. Sans plus attendre : Au Café Parvis
16 Mars 2022 :
Il y a deux ans jour pour jour, tout fermait. Il y a deux jours, tout a réouvert et nous n’avons jamais été aussi près de la vie d’il y a deux ans jour pour jour. Il y a deux ans jour pour jour c’était l’anniversaire de Janna, ce qui signifie qu’aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Janna. La boucle est bouclée, les anniversaires gâchés c’est du passé!
Mon cours finit à 19h00, je dois me bouger : débouler l’escalier de Jean-Brillant au plus vite, profiter des dernières plaques de glace sur Louis-Collin pour glisser jusqu’au fond de la station Université de Montréal, espérer ne pas entendre une douce voix féminine dire « une personne sur la voie nous force à interrompre le service sur la ligne bleue », escalader les marches à Jean-Talon et celles qui mènent à ma porte pour les redescendre mieux habillé et mieux accompagné – un pet nat rosé et un Grüner autrichien achetés à la Cave de Mamie qui seront à Janna plus tard ce soir. J’arrive au Café Parvis en moins de deux. À 20h02 pour être précis : quelle exécution hors pair.
À mon arrivée, ce ne sont pas des coupes de vin, mais un nom qui se balade entre les lèvres de Janna, Mathilde et William qui sont déjà attablés. C’est plutôt un hymne, une mélodie. « Anthony » chuchoté, « Anthony » sifflé, « Anthony » flûté, « Anthony » chanté, « Anthony » en écho dans mes oreilles. Anthony c’est le serveur et Will a déjà un œil dessus. Peut-être plus qu’un œil, je n’en sais rien. À suivre. Krystel et Raphael auront un peu de retard, ce qui fait qu’on peut s’enfiler quelques verres avant de commander les pizzas. Ça donne aussi le temps à la tension de monter en crescendo entre notre ami et le serveur. Le charme du Parvis, trouve sa source en un corridor au centre du restaurant qui le lie à son voisin, le bar Furco, il est ainsi possible de faire une transition toute naturelle entre le repas et les célébrations ; à voir si Anthony nous y suivra.
Raphael, suivi une minute plus tard par Krystel, nous rejoint à la grande table située au fond du premier palier du restaurant. On a un grand espace à nous. Deux couples se partagent une table quelques mètres plus loin, mais on a chacun notre bulle. Tout le monde a envie de pizza, ça simplifie les choses. « Ça fait qu’on va t’en prendre une de chaque », annoncera la déléguée pour passer la commande. Rien de nouveau, on aime explorer et partager, on rafle ainsi tout le menu sans compromis. Bien sûr, une margherita ; tout restaurant servant des pizzas se doit d’être jugé d’abord et avant tout au goût de sa margherita : à la fraîcheur des tomates, au caractère de sa mozzarella, au parfum de son basilic. Le très sympathique Anthony, nous amènera les pizzas en deux mouvements afin qu’on puisse tout déguster à une cadence raisonnable. C’est bien de ne pas avoir à y aller à un tempo de fou cherchant à tout goûter avant que ça ne refroidisse, c’est le genre d’attention qui me plaît.
Comme il est 21h00, c’est le temps de tomber dans le rouge, le gamay fait l’unanimité. William ramène donc Anthony encore une fois à la table, et il en profite pour lui proposer un verre, mais il se bute à un premier refus. Notre ami sent le besoin de justifier sa démarche. Il n’a pas envie de faire son lit en rentrant, nous explique-t-il, c’est pourquoi il se doit d’absolument finir dans celui d’un autre. Cet autre arrive d’ailleurs avec la bouteille de Beaujolais. Contre toutes attentes, il ouvre bien plus qu’une simple bouteille : il ouvre toutes les portes que pouvait espérer Will en lui frôlant la cuisse de sa main! Bombe nucléaire. « Qu’est-ce que tu aimerais boire toi là? », puis ne laissant pas une seule seconde à Anthony pour répondre, « On va prendre six calvados plus un pour toi. ». Tel un chœur, le reste de la table éclate d’un soupir collectif : « Will pas maintenant, pas tout de suite. ». Janna se tourne vers le serveur et lui dit que ça va attendre une peu – Janna est serveuse, elle sait toujours rassurer ses homologues –, ce dernier retourne donc à ses affaires. Elle revient à William, qui est un peu morose vu le frein qu’il s’est fait imposer, en lui conseillant de ne pas en faire trop, trop rapidement, avec Anthony pour ne pas lui faire peur, « Laisse le faire une partie de la job, il faut que tu te laisses désirer toi aussi. », ajoute Krystel en renfort ; ses épaules se redressent, son regard se ré-éclaire, tout va bien.
Les pizzas sont très bonnes, celle au bœuf l’est vraiment, il est mariné à merveille et se marie trop bien avec les autres garnitures. La margherita est bien. Je dis « bien » et non excellente parce qu’elle ne l’était pas ; la pâte aurait pu être un peu plus croustillante, le mieux c’est lorsqu’à la croquée, le craquement de la croûte disperse dans tous les coins de la bouche la légère amertume des parties noircies à la cuisson. Mathilde et moi sommes allés faire une sortie à New York au début de l’hiver et avons goûté des pizzas dont elle vante présentement le délice à Raphael en racontant aussi notre arrêt au bar à huitres de la gare Centrale. Je m’égare dans ce séjour gustatif de 72 heures que nous avons vécu en décembre dernier avant d’être ramené dans le moment par un cri aigu de William dont la raison restera entre lui et Janna. Je les vois échanger tous les deux, lui regardant constamment au-dessus de son épaule afin de voir si le serveur est dans les parages, elle tentant de le calmer un peu. C’est comme si Anthony avait passé la soirée assis à table avec nous tant il y était – quand ce n’était pas physiquement, c’était par la bouche de Will –, Janna vient de lui dire que la bouteille qui vient d’être commandée par son courtisan attendra la fin du Sangiovese qu’il nous a apporté il y a quinze minutes.
La soirée à table entre amis n’est pas très loin de l’orchestre : tous doivent s’accorder à un même rythme afin de former une mélodie harmonieuse. Cette soirée-là, William a la note un peu hâtive, le verre vide en permanence et le regard constamment à l’affut de l’âme pouvant abreuver la sienne à coups de Chenin blanc, de Pinot noir, de Gamay ou de Chardonnay, son élixir tant désiré. Si j’essaie à l’instant de me projeter dans sa tête, il s’y trouve Anthony nu sur un nuage de l’Olympe, arborant un visage tel celui du Garçon avec un panier de fruits de Caravage ; son panier n’est pas un panier de simples fruits, mais un panier débordant de raisins, de fromages, de bouteilles de Saint-Bris, de Chablis, de Meursaults ; une grappe de muscat recouvre le sexe du charmant serveur qui, depuis les cieux, fait couler sa boisson divine dans la coupe de notre ami. Ce dernier tente d’agripper le liquide pour se hisser jusqu’à Anthony en son domaine divin : mais ce ne sont pas des vignes William, tu ne sauras prendre le vin de ta main et atteindre ton but, tes efforts sont malheureusement vains...ce serveur est vraiment d’un autre monde.
Dur retour à la réalité : « Oooaenhh! J’ai mal au cœuur! », s’écrie Janna. Tous arrêtent sur le champ leur conversation et les regards convergent vers elle, les oreilles tendues vers sa prochaine plainte – Will de son côté profite de la distraction pour sortir de table et partir à la recherche de son dieu grec – « J’ai trop mangé de pizza », ajoute Janna. Elle a les deux mains sur le ventre et elle se balance de gauche à droite sur sa chaise. Le relâchement de nos souffles a de quoi faire voler la nappe et tout ce qui repose dessus. « Oh my god Janna », lâche Raph pendant que Krystel, le regard au plafond, la tête faisant des signes de non, lui dit qu’elle exagère toujours. Je lui propose d’aller faire un tour du bloc pour que ça passe ; elle m’y dit qu’elle adore sa soirée jusqu’à date et qu’elle a adoré la nourriture. Les autres en profitent pour régler l’addition. Je paie la mienne en rentrant. Janna nous dit qu’on n’aurait pas dû. Elle n’a pas le temps d’insister puisqu’à peine réinstallés, Anthony se pointe avec sa collègue, une main occupée par des bulles dans un seau à glace , l’autre par un plateau de shooters de Chartreuse. Celle qui le suit en a un rempli de Calvados. Les yeux de Janna, eux, accompagnés de sa mâchoire, fondent sur la table face à la démesure de notre ami. Will est fier de son coup et il s’assure qu’Anthony prenne bien son shooter. La soirée au Parvis se clôt ainsi. Le verre à la main, on traverse du côté du Furco, Raphael qui a un examen à la première heure le lendemain vient de nous faire l’accolade, nos chemins se séparent ici.
Souvenez-vous de la comparaison avec l’orchestre : c’est ici qu’on s’apprête à perdre un musicien. William nous catapulte plein de noms de vins différents en dissertant sur chacune des appellations ; son énergie est celle de la dernière chance. Anthony est finalement resté du côté du Parvis, mais le changement de carte lui permet de s’attacher à quelque chose pour cette fin de soirée. Ce jusqu’à ce que, d’une indifférence notable face au discours qui lui entre par l’oreille droite et lui sort par l’oreille gauche, Janna laisse tomber joyeusement et naïvement : « Je prendrais bien un espresso-martini moi! ». Si le sourire qu’elle aborde laisse présager au moins deux belles heures devant nous, c’est une déconfiture totale qui s’orchestre dans le visage soupirant à sa droite. Les maux de cœur de la fêtée sont du passé, la traversée au Furco marque sa renaissance. Son appel aux cocktails résonne en Mathilde et en Krystel ; de mon côté, je ne dirais surtout pas non à un Negroni. En revanche au champ droit, c’est le début d’un dépérissement, la moue qui n’affectait d’abord que l’expression faciale de William semble s’emparer de tout son corps. Lui qui était d’une énergie survoltée il y a quelques minutes à peine se met à languir, crachant des notes indéchiffrables, il se lève d’un dernier élan pour aller chanter les louanges d’Anthony au bar. Son hagiographie du serveur trouve preneur du côté du chef dont il a agrippé la manche alors qu’il se dirigeait vers la sortie ; il décide avant de quitter d’offrir à William un shot sur la maison afin de lui redonner courage. Janna, ayant pitié décide d’aller au bar pour nous le ramener. Il est trop tard pour le rescaper. On se met alors à échanger tous les quatre sur le saxophoniste bien baraqué que Janna vient de fréquenter sans succès. Il se trouve par tous les hasards à trois tables de la nôtre, on s’esclaffe alors qu’elle nous raconte des anecdotes de leur brève histoire. Pendant ce temps, William, qui est revenu à table par je ne sais quel moyen, perd de vue le reste de la soirée. Le voilà transformé en une nature morte. Le quintette devient quatuor.
La cheffe d’orchestre est toujours bien présente. De fait, elle enfile son quatrième espresso-martini en l’honneur de cette sonate des vingt-trois ans. Dans une heure, le copain de Krystel passera la chercher pour qu’ils retournent dans leur repère LaSallois. Mathilde et moi prendrons un taxi vers la maison. Janna prendra William sur son épaule l’emmenant aussi en taxi jusqu’à chez elle afin qu’il puisse récupérer sa voiture demain matin ; il n’aura pas à faire son lit ce soir, voilà une consolation pour n’avoir pu atteindre Anthony.
Je ne veux pas jouer les moralistes ou les donneurs de leçon, j’ai horreur de ce genre de personne, mais permettez-moi ce conseil si vous célébrez votre anniversaire prochainement : La question du rythme est non négligeable, elle joue un rôle clé dans l’harmonie d’une soirée. Ayez une copie ou deux de trop de la partition sur vous, au cas où un ami aurait égaré la sienne. Ne lui en tenez pas non plus rigueur s’il est emporté par un tempo immodéré, le pire qui pourra lui arriver sera de tambouriner frénétiquement afin d’obtenir le numéro du serveur, pour finir étiolé à vos côtés.
Voilà pour le Café Parvis!